[Vidéo] Les CSE face au risque d'élus "décrocheurs"

[Vidéo] Les CSE face au risque d'élus "décrocheurs"

28.09.2021

Représentants du personnel

Du fait de la crise sanitaire mais aussi des caractéristiques du CSE lui-même, qui a accru la charge de travail des représentants du personnel, certains élus du comité finissent par jeter l'éponge et cessent d'être actifs dans l'instance. Comment "raccrocher" au CSE ces élus "décrocheurs" ?

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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La confidence vient d'un délégué syndical FO de la grande distribution de la région lilloise que nous interrogions récemment sur ses préoccupations et sur la situation du comité social et économique : certains élus de son CSE, nous a-t-il dit, ont "décroché" lors de la crise sanitaire. Ils n'ont pas pu suivre le rythme des consultations à distance d'une instance désormais unique (dans son entreprise, le CSE a remplacé 11 CE) et ils ont cessé de s'impliquer dans la vie du comité.

"Bref, ils n'ont pas travaillé", déplore le DS tout en reconnaissant que des visioconférences avec 60 personnes durant plusieurs heures ne sont pas de nature à inciter les élus débutants à aimer leur mandat.  Le délégué syndical mise sur le retour des réunions "physiques" pour "remotiver" ces élus.

Mais il n'est pas évident que cela fonctionne, si l'on en croit Jean-Louis Chivot, secrétaire du CSE SNCF : "Certains élus ne veulent pas revenir en réunion plénière physique". Et l'élu UNSA d'ajouter : "Heureusement, nous avons ici une grande délégation, avec 35 élus titulaires et 35 suppléants, mais nous observons que certains élus sont très difficiles à joindre. Ils se sont mis en retrait". La crise sanitaire a été la goutte d'eau qui a fait déborder un vase déjà bien rempli par l'intensité du mandat en CSE, selon Jean-Louis Chivot : "Par rapport au CE, que j'ai connu, le travail du mandat CSE est beaucoup plus intense sur le plan psychologique. Il faut pouvoir passer rapidement d'un problème à l'autre, d'une question économique aux conditions de travail, c'est épuisant". 

Une période difficile à traverser

Cette menace d'absentéisme d'élus "décrocheurs", mot qui désigne habituellement des jeunes quittant le système scolaire sans diplôme ni qualification, Michelle Rousseau, présidente du cabinet Agate expertise (1), l'a également identifiée (voir ci-dessus son interview vidéo en marge du salonCE de Lille). "Nous avons pu observer dans certains cas un "décrochage" de l'activité des élus, nous expose-t-elle, certains étant des élus récents non formés à leur mandat, d'autres étant d'anciens membres du CHSCT qui ont été déçus par ce qui se passait au CSE. Certains salariés se sont retrouvés chez eux sans matériel informatique ou ne sachant pas s'en servir et ils étaient pourtant censés, sans formation préalable, suivre les visios pour représenter les autres".

Un absentéisme qui peut avoir, souligne Clémentine Auburtin, directrice du réseau inter-CSE Cezam d'Auvergne-Rhône-Alpes, un effet en cascade : "Si certains élus ne participent plus au travail collectif, les membres qui se retrouvent à tout faire peuvent finir par éprouver un ras le bol général au point de démissionner". 

Quand on ne peut plus suivre, on finit parfois par jeter l'éponge 

 

Philippe Portier, secrétaire confédéral CFDT en charge du dialogue social et des IRP, rapporte avoir lui-aussi des remontées dans ce sens : "Nous constatons que certaines équipes sont en difficulté. La crise sanitaire n'y est pas étrangère mais le problème me paraît structurel : les élus ne sont pas assez nombreux et n'ont pas assez de moyens pour mener à bien leur mission. Et quand on ne peut plus suivre, on finit parfois par jeter l'éponge".

La situation ne laisse pas d'inquiéter le responsable syndical dans la perspective du renouvellement des CSE : "Trouver des candidats ne va pas être simple. Nous redemandons donc une révision des dispositions légales sur le CSE, une correction des ordonnances de 2017". Une revendication partagée par Florence Dodin, chargée du suivi des IRP au niveau national pour l'UNSA, même si celle-ci dit ne pas avoir de remontées sur d'éventuels "décrocheurs". "Je crains néanmoins que certains élus ne se représentent pas pour le nouveau cycle et que nous ayons du mal à trouver des successeurs, notamment chez les jeunes, et ce alors qu'on vient encore d'ajouter une compétence supplémentaire au CSE avec l'environnement, mais sans moyen dédié. On voit bien aussi, pour le travail syndical au niveau national, que des personnes ont moins envie de venir sur Paris", constate-t-elle. Au CSE e la SNCF, Jean-Luis Chivot confie lui aussi qu'on ne rertouvera pas tout le monde lors du renouvellement du CSE.

Les élus sortent épuisés d'une période où ils ont fait tampon entre les salariés et la direction, dans une gestion de crise permanente 

 

 

Il faut dire que tout, dans la période récente, avait de quoi décourager les vocations à s'investir dans les IRP et sur le champ syndical. En dépit de l'article L. R2314-1 du code du travail qui permet l'augmentation du crédit d'heures "en cas de circonstances exceptionnelles", les membres des CSE, très souvent moins nombreux que les ex-CE, DP et CHSCT, n'ont généralement pas obtenu de moyens supplémentaires pour faire face au changement profond représenté par les débuts de la nouvelle instance dans un contexte sanitaire inédit.

"Les entreprises ont multiplié les réunions à distance du CSE, parfois à un rythme soutenu, et souvent avec des ordres du jour surchargés", souligne l'experte. Les collectifs des CSE, perturbés par le confinement, par le télétravail mais aussi par les précautions sanitaires sur site, ont également dû faire face aux réclamations de salariés mécontents de leurs conditions de travail et aussi d'un manque de reconnaissance de leur investissement personnel pendant la crise pour assurer la poursuite de l'activité économique. "Entre les salariés, toujours plus exigeants à l'égard du comité, et la direction, les élus de CSE ont joué un rôle tampon très éprouvant pendant la crise sanitaire, avec une gestion de crise permanente. Les élus ressortent très fatigués de cette période", souligne Clémentine Auburtin. 

Comment prévenir ces risques de "décrochage" ?

Ce constat établi, que peuvent faire les membres restés actifs des CSE pour "raccrocher" à l'instance ces élus "décrocheurs" ? Les sections syndicales peuvent apporter du soutien aux équipes d'élus CSE, répond Philippe Portier. Pour le responsable CFDT, les membres du CSE ont d'autre part tout à gagner à s'appuyer davantage sur le travail des commissions de l'instance : "Les commissions des CSE peuvent "débroussailler" les choses et faciliter en amont le travail des élus". 

Les membres d'un CSE doivent apprendre à travailler ensemble 

 

Pour Michelle Rousseau, qui s'est formée au coaching qu'elle pratique désormais auprès des CSE, la résolution de cette question sensible passe d'abord par la reconnaissance, par la communauté du CSE, qu'il s'agit d'un problème non individuel mais global. "Quelle est la responsabilité collective de l'instance dans cette situation de décrochage de certains élus ?" est la première question, selon elle, à se poser.  Cela doit ensuite conduire les élus à revoir leur organisation de travail. "Quand on accompagne des collectifs d'élus, nous les incitons à définir des priorités et à déterminer quelles sont les aptitudes, compétences et accointances de chaque élu.

Il faut se mettre autour de la table et demander : "Et toi, qu'est-ce qui t'intéresses ?" A partir de là, on fait des allers-retours pour définir une répartition des rôles et une méthode de travail. C'est un peu comme quand on coache une équipe d'ingénieurs chargés d'un développement. Les CSE ne doivent pas se priver de ces techniques d'animation et de cohésion d'équipe en partageant le même objectif", détaille Michelle Rousseau. A cela s'ajoute une stratégie de montée en compétences des élus sur la connaissance des sujets et sur l'approche juridique : "Par exemple, on ne va pas déclencher d'emblée une demande d'expertise, mais on va produire des analyses, lancer des alertes, et ensuite seulement envisager l'expertise". 

Clémentine Auburtin est également convaincue de l'importance de soigner le travail collectif au sein des CSE. Mais, confie-t-elle, il reste difficile de mobiliser les élus de CSE autour de formations inter-CSE portant sur le travail collectif, sur l'animation d'équipe, des points jugés moins importants que d'autres. Acquérir des méthodes de travail ensemble, c'est pourtant essentiel, insiste la directrice de Cezam Auvergne-Rhône-Alpes. Qui en profite, au passage, pour "vendre" l'approche de son association : "Chez Cezam, nous essayons d'accompagner les élus de tous les CSE en leur proposant de prendre en charge des missions techniques et organisationnelles (organisation de la billetterie, conception de la communication du CSE vers les salariés, aide à la rédaction du procès-verbal, etc.), afin qu'ils puissent se concentrer sur les prérogatives économiques, par exemple". 

 

(1) Cabinet d'expertise en santé, sécurité et conditions de travail pour les représentants du personnel, Agate travaille en partenariat avec le cabinet AKP conseils, un conseil d'expertise comptable. 

 

Bernard Domergue
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